1656. Naissance de l’hôpital laïc

1656. Naissance de l’hôpital laïc

Chapo
Où le mot ne désigne pas la chose. La charité est organisé autour de ces ces hospices qui prennent soin des enfants et des vieillards
Corps

Parmi ceux-ci, l’hôpital est une figure centrale. Institution ancienne, elle se laïcise progressivement. En 1505, suite à des abus financiers, les pouvoirs de l’Hôtel-Dieu de Paris sont confiés à des bourgeois. Il reçoit des malades, des indigents, des pèlerins et des infirmes. La césure n’est ni complète, ni définitive. L’édit de Louis XIV du 27 avril 1656 qui crée l’Hôpital Général annonce dans son préambule : « Considérons ces pauvres mendiants comme membres vivants de Jésus-Christ et non pas comme membres inutiles de l’État. Et agissons dans la conduite d’un si grand œuvre non par ordre de police, mais par le seul motif de la charité. ». En 1710, l’institution passe sous la direction des magistrats placés sous l’autorité du Président du Parlement de Paris et de son procureur général. Le directeur a tout autorité sur ses pensionnaires  « Auront pour cet effet les directeurs : poteaux ; carcans, prisons et basses-fosses dans ledit Hôpital Général et lieux qui en dépendent comme ils aviseront, sans que l’appel puisse être reçu, des ordonnances qui seront par eux rendues pour le dedans dudit Hôpital… »

L’ambivalence n’est pas que religieuse. On peine à distinguer le soin et le châtiment. Louis-Sébastien Mercier, témoin de l’époque décrit l’hôpital de Bicêtre :  « Ulcère terrible sur le corps politique, ulcère large, profond, sanieux qu’on ne saurait envisager qu’en détournant les regards. Jusqu’à l’air du lieu, que l’on sent à quatre cent toises, tout vous dit que vous approchez d’un lieu de force, d’un asyle de dégradation, de misère, d’infortune. Les vivants y sont parfois collés à la bouche des morts1 ». Le travail est obligatoire et non rémunéré mais on est nourrit de pain noir et d’un brouet infâme.

Aux Invalides s’entassent épileptiques, insensés, galeux, teigneux, ayant des fistules. « ‘‘J’irai à l’hôpital, s’écrie le pauvre Parisien ; mon père y est mort, j’y mourrai aussi’’ (…) Cruelle charité que celle de nos hôpitaux ! Fatal secours, appât trompeur et funeste ! Mort cent fois plus triste et plus affreuse que celle que l’indigent recevrait sous son toit, abandonné à lui-même et à la nature !2 ». Un siècle plus tard, en 1773, Jean-François Mamrontel déclare dans La Voix des Pauvres que 8000 malades meurent par an à l’Hôtel-Dieu et décrit « la puanteur, l’entassement des corps malades dans un même lit, les hardes emplies de vermine entassées dans les escaliers, les latrines encombrées de rats, les cris des accouchées, les bruits incessants venant des plaintes des malades »

Pour entrer à l’hôpital, il est souvent demandé des certificats de bonne conduite, d’attester de ses bonnes mœurs, de détenir un certificat de curé de paroisse où il est noté « il mérite par sa conduite d’être soigné et pris en considération3 ».

Les « pauvres mendiants » sont malgré tout très peu à vivre en hôpital. Moins de 5 % selon Christian Romon. La plupart vivent chez les logeurs, les aubergistes et marchands de vin. Ils seraient près de 40 000 en 1667 à Paris4. La plupart sont en guenilles, en haillons, sans chaussures, sans chemises. Une partie sont « infirmes » : aveugles, manchots, estropiés à cause des accidents du travail (à la ferme ou dans la construction), de la vieillesse, de la guerre. Une autre partie orphelin.

Certains établissements sont spécialisés. Aveugle, on a peut être la chance de faire partie de l'un des trois cents pensionnaires du Quinze-Vingts. On peut alors quêter dans toutes les églises de Paris et recevoir une pension. Orphelin ou bâtard, « fils de prince ou de savetier », on peut être recueilli par l’hôpital des Enfants-Trouvés créé par Vincent de Paul en 1638. Un sur deux ne survit pas longtemps. Rousseau a abandonné les trois filles qu'il a eut de Thérèse Levasseur. Les abandons peuvent être corrélés au prix du seigle. A Paris, il aurait reçu 300 000 enfants entre 1720 et 1790. Pourtant, ce n’est pas assez. Arlette Farge raconte l’histoire de cet enfant amené par un maréchal des logis de la maréchaussée de Champagne à l’hôpital de Reims après avoir été refusé à Fismes. L’hôpital le refuse. L’enfant meurt. Interpellé, l’hôpital répond « n’être pas fait pour les enfants et que ce dernier aurait pu attraper de graves épidémies5 ».

En 1662, les hôpitaux sont étendus dans toutes les grandes villes du pays et 40 hôpitaux similaires sont créés avant la in du siècle. Mais les moyens financiers sont faibles et les bâtiments délabrés. Cet édit crée aussi une police, les archers, pour s’enquérir des mendiants, les amener dans les hôpitaux pour les redresser moralement et toucher une prime. Parfois, ils sont mêmes envoyés dans les colonies Outre-mer.

L’hôpital n’est donc plus un lieu hospitalier et pas encore un lieu médicalisé. A une époque où la protection sociale était considéré dans ce cas comme « la protection de la pauvreté et la protection des riches contre les pauvres6 ». Au mieux, les grands médecins de l’époque testent leurs méthodes sur cette population fragile et livrée à elle-même. En 1778, une réforme du Service Hospitalier est demandée par Louis XVI à Jacques Necker. Celui-ci nomme deux ans plus tard le médecin militaire Jean Colombier inspecteur général des Hôpitaux, dépôts de mendicité et prisons. Il met en place une commission des hôpitaux de Paris et une commission de réforme des prisons. C’est la première d’une longue transformation des hôpitaux français.

 

1 Louis-Sébastien Mercier, Le tableau de Paris, Paris, La Découverte, 2012, 350p, p.79

2 Mercier, ibidem, p.214

3 Arlette Farge, La déchirure: souffrance et déliaison sociale, XVIIIe siècle, Montrouge, Bayard, 2013.p.215-216

4 Christian Romon, « Mendiants et policiers à Paris au XVIIIème siècle », Histoire, économie et société, 1-2, 1982, p. 259‑295, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1982_num_1_2_1292

5 Arlette Farge, ibidem, p.138

6 Michel Foucault, naissance de la clinique cité p.219.