Une typologie des activités du soin

Une typologie des activités du soin

Chapo
L'inventaire précis de toutes les activités que les personnes réalisent et qu’elles trouvent importantes a montré que quasiment toutes pouvaient être rassemblées autour de ce grand enjeu sociétal du care, du prendre soin.

Nous avons alors tenté d’opérer un classement plus fin afin d’en faire des catégories analysables. Trois grandes catégories sont apparues, le prendre soin (de soi, des autres et du vivant), le produire pour soi et le produire du sens, inspirées des travaux de la sociologue Marie-Anne Dujarier dans son livre Troubles dans le travail, pour décrire ce qu’elle appelle les "pratiques utiles et vitales hors emploi"
Corps

(extrait du rapport "Un boulot de dingue")

Prendre soin

  • Prendre soin de soi

Il s’agit de ce que l’on fait pour aller le mieux possible : se soigner, régler des problèmes administratifs, s’aérer le corps et l’esprit, aller à la piscine, marcher, échanger avec un ami, se rétablir après une difficulté. On se rend compte que c’est cela qui permet de se sentir bien et d’être disponible pour les autres. Que c’est aussi cela qui évite parfois d’être à la charge de quelqu’un, de faire des séjours longs à l’hôpital, coûteux, pénibles pour soi, sa famille, ses amis, les gens qui nous aiment. C’est un investissement à long terme, c’est la prévention de la santé. Cela peut donner le sentiment de ne "rien faire" parce qu’on s’occupe "juste" de soi. Alors que c’est essentiel !

C’est essentiel de prendre soin de soi. On se trompe si on ne le fait pas, on en voit les conséquences pour soi et pour les autres. Il est important que ces activités soient nommées.

Il est ici question de prévention. C’est un enjeu important pour que la protection sociale aille mieux. C’est un impératif d’efficacité économique, mais aussi un impératif de justice. "Air tous, tout le temps, avant de tomber malade." Ici encore, la période du confinement a mis en lumière cet enjeu, en posant par exemple la question des conséquences d’une trop grande sédentarité ou les enjeux de l’accès à une alimentation de qualité.

Nous nous rendons compte que l’on devrait mieux reconnaître le fait que chacun doit passer du temps à prendre en compte sa santé physique et mentale. Pour cela, il faut avoir le temps, l’argent et une forme de reconnaissance – afin de pouvoir faire passer en priorité le fait de prendre soin de soi quand sa santé le réclame.

  • Prendre soin des autres : sa famille, son cercle élargi, les solidarités de voisinage

Nous avons collecté ici toutes les activités qui permettent de s’occuper de ses enfants, d’un conjoint ou d’un parent malade ou vieux, des voisins ou des amis. Elles sont nombreuses et relativement évidentes à se représenter car elles concernent de très nombreuses personnes.

En voici quelques exemples racontés par les participants au Carrefour des savoirs :

  • s’occuper de ses enfants, aller au parc, se balader, faire des jeux et de la lecture
  • être aidant pour les voisins, voisines, famille, amis. Faire les courses, aider à remplir les papiers, s’occuper des chiens. « Quelquefois, ce sont de toutes petites choses, comme aller chercher des timbres et poster les lettres pour sa voisine. Elle y tient, c’est important pour son bien-être » ;
  • prendre soin de son mari malade : s’occuper du petit déjeuner, aider à la toilette, s’occuper des médicaments, faire attention à ce qu’il mange et bien choisir les aliments, aider à marcher, faire des massages, organiser et proposer des sorties, être présent lors des examens médicaux… ;
  • accompagner les parents âgés : s’occuper de leur bien-être moral, rendre visite régulièrement, faire des sorties, s’occuper de la coiffure, faire la gestion matérielle de la maison, faire tout ce que l’auxiliaire de vie n’a pas le temps de faire ;
  • prendre soin de sa voisine en situation de handicap, lui apporter des petits plats quand elle va trop mal, nourrir ses chats, faire quelques courses. « C’est important, cela lui permet de rester chez elle, proche de ses amis. »
  • Prendre soin du vivant

Nous avons également cité des actions qui sont importantes pour le soin du vivant. Faire du compostage, ou encore acheter ses légumes chez le maraîcher bio : ce n’est pas toujours possible, cela coûte du temps (et de l’argent !), mais cela permet de bien se nourrir, conforte les producteurs et l’économie locale. Cela contribue à l’environnement en privilégiant une agriculture respectueuse de la nature. Qu’il s’agisse de gestes individuels ou d’engagements bénévoles, ils ont été notés comme importants.

Nous avons mesuré combien cet enjeu est lié à la protection sociale : il y a une corrélation entre dégradation de la nature et des écosystèmes et dégradation de la santé humaine. Et si l’ensemble de la population est touché, les populations les plus précaires sont les plus exposées. Protection de la nature et protection de notre santé sont indissociables. "Les vraies politiques de prévention seraient de sauver notre environnement"1.

Produire pour soi, autosubsistance et autoproduction

Nous parlons ici des activités d’autoproduction : ce que nous produisons nous-mêmes. Peu de personnes du groupe avaient un jardin, malheureusement, mais nous avons souvent cité l’activité de jardinage dans nos exemples. Nous avons aussi cité ce que nous fabriquons nous-mêmes, par exemple quand on fait des pâtisseries, ou comme Maha qui a réalisé un îlot central pour sa cuisine. Angela raconte son activité de ramassage de châtaignes, en forêt. Elle glane pour elle, mais aussi pour ses amis qui travaillent et qui n’en ont pas le temps. Dans ces activités-là, il y a souvent de l’entraide, pour faire des confitures ou des conserves par exemple.

Il s’agit de "s’employer pour produire des choses consommées par soi-même", selon les termes de Marie-Anne Dujarier. Cela a longtemps été une activité centrale dans l’histoire humaine, avant que le travail-emploi (principalement salarié) ne relègue ces activités à la marge.

Nous avons aussi souhaité ajouter à cette catégorie les activités de recherche d’emploi, l’emploi étant vu comme un moyen de subsistance, via le revenu qu’il génère. Ce qui ressortait, c’était que chercher du travail, c’est aussi "un métier à plein temps" qui n’est pas du tout reconnu. Il faut faire un tas de choses pour se rendre employable : la recherche d’emploi en elle-même (sélectionner les annonces, les analyser pour y faire une réponse adaptée, envoyer les candidatures, répondre aux recruteurs…), mais aussi le temps passé à établir un réseau, chercher à se former, faire des stages… C’est un travail dur, non reconnu, qui se fait souvent dans la solitude, et qui confronte à la violence des rapports sociaux, avec des conséquences importantes sur la confiance en soi.

Produire du sens

Il y a l’activité associative, l’activité syndicale, l’activité politique. Dans notre groupe, nous avons parlé d’activités associatives comme la participation à des rencontres de femmes, la réalisation de marches « pour la paix», de rencontres pour créer une association de familles dans son quartier, ou encore la participation à des espaces institutionnels tels que le Conseil national de lutte contre l’exclusion, ou à des ateliers organisés par le centre communal d’action sociale sur l’analyse des besoins sociaux. Nous avons aussi parlé de ce Carrefour des savoirs. Il s’agit d’engagements pour des causes ou pour la défense de droits.

Nous avons constaté qu’il y a souvent, dans ces espaces, des reconnaissances à géométrie variable : si on prend l’exemple de ce Carrefour des savoirs, il y a des personnes venant d’une même association, certains bénévoles en situation de précarité, et d’autres salariés. Elles donnent la même énergie, mais "au final, il n’y a que les personnes salariées qui seront payées". "Il n’y a pas la même reconnaissance".

Réfléchir à la reconnaissance de ces apports bénévoles, non rémunérés, est indispensable. Le travail engagé dans ce rapport trace des perspectives.

1 Voir l’avis du CESE sur la santé et l’environnement, adopté en mai 2022,

Corps du bloc "Nos propositions"