1996-2005. Les tentatives de réforme

1996-2005. Les tentatives de réforme

Chapo
La massification du RMI pousse les responsables politiques à inciter à la reprise d’emploi en faisant peser sur les allocataires la responsabilité de s’insérer.
Corps

Dans un contexte de transformation économique et technologique majeur, les minima sociaux vont se trouver au milieu d’un champ de force poussant les élites politiques à les réformer. De nouveaux objectifs vont être formulés comme « inciter les individus à s’adapter aux réalités du monde économique » ou à « lutter contre l’assistanat ».

On n’est pas encore dans un régime où l’aide sociale est conditionnée à la reprise d’un emploi mais on oriente l’aide sociale vers la reprise systématique d’un travail perçu comme l’aboutissement d’une inclusion sociale, économique et politique1. L’objectif de « l’insertion » est progressivement réduit à la seule employabilité et les autres dimensions de la vie (logement, santé, famille) sont des étapes ou des contraintes avant d’aller vers l’emploi2. Il s’agit d’améliorer « le gain financier à travailler » et de « responsabiliser » les allocataires face à leurs choix en « lissant des effets de seuil ».

 

  • Les conditions d’accès à l’ASS sont restreintes à partir de 1997 par une diminution du plafond de ressources, par la suppression de la prise en compte des périodes de chômage indemnisé comme des périodes d’activité et par une augmentation des demandes de justificatifs

 

  • Le montant du RMI et de l’API commencent à décrocher de la croissance du salaire minimum afin de limiter les « trappes à pauvreté ». L’idée que les personnes préféreraient rester au RMI plutôt que de reprendre un boulot se diffuse.

 

  • Un mécanisme d’intéressement à la reprise d’activité est mis en place. Celui-ci est étendu par la loi contre les exclusions en 1998 à l’ASS, l’API et l’AI. Les droits connexes et les impôts (taxe d’habitation) sont de mieux en mieux pris en compte. En 2006, la loi du 23 mars relative au retour à l’emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux le réforme en instaurant des primes mensuelles forfaitaires de 150 euros (personne seule) ou 225 euros (personne en couple) et d’une prime ponctuelle de 1 000 euros au quatrième mois d’activité pour les reprises d’un emploi au moins à mi-temps. Cette loi renforce les sanctions en cas de fraude ou de déclaration inexacte (4000€ et le double en cas de récidive)

 

  • La Prime pour l’Emploi articulée à l’impôt sur le revenu est créée en 20013 pour les personnes ayant un revenu d’activité inférieur à 1,4 fois le montant du salaire minimum. Elle ne profite qu’aux ménages acquittant l’impôt sur le revenu. Elle vise à inciter au retour ou au maintien dans l’emploi. Et pèse sur les ressources de l’Etat plutôt que sur celles des entreprises4. Suggérée par le Conseil d’Analyse Economique créé autour de Lionel Jospin, ce dispositif est emblématique d’une évolution idéologique qui suggère que les chômeurs seraient victimes de « trappes à inactivité » à cause du manque d’incitation monétaire.

 

  • Le Revenu Minimum d’Activité est créé en complément du RMI par une loi du Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2003. Celle-ci décentralise dans le même temps sa gestion en la confiant aux Conseils Généraux5. Voulant renforcer l’insertion, la loi créait un contrat de travail entre un allocataire et un employeur en versant à celui-ci une partie de l’allocation. Le contrat ne pouvait dépasser 18 mois. Les droits sociaux contributifs (retraite, chômage) n’étant calculés que sur la part restante6. Surtout, « l’impératif national » disparaît au détriment d’une distinction entre une « assistance passive » et une solidarité active. En témoigne le discours introductif de François Fillon, ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité : « Oui, il est possible d’améliorer la gestion du RMI en la rapprochant du terrain : c’est l’objet de la décentralisation du dispositif. Oui, il est possible d’épauler les allocataires du RMI sur le chemin de l’insertion professionnelle : c’est l’objet du RMA, qui s’offre à ceux qui ne baissent pas les bras. […] Notre attachement au pacte social nous commande de ne pas accepter l’idée d’une assistance passive qui s’apparente davantage à une charité de façade qu’à une véritable solidarité ». Visant 100.000 contrats, il atteignit péniblement 15.000 en 2008.

 

L’ensemble de ces réformes mobilisent une énergie administrative7, politique et juridique importante alors même que ces calculs monétaires jouent un rôle mineur dans le choix des allocataires du RMI8. Les comportements des allocataires du RMI ne sont pas liés à des calculs coût-avantage financier à reprendre un travail mais à un ensemble de conditions (garde d’enfants, santé, qualification, éloignement ou absence d’emplois disponibles, discriminations raciales...) et à un cadrage du dispositif (honte de la pauvreté disqualifiante et stigmatisante du RMI...). A l’inverse, le marché du travail est paré de toutes les vertus : il est censé préserver de la pauvreté, offrir une dignité et produire les richesses qui seront redistribuées.

 

Parallèlement, deux nouveaux dispositifs s’apparentant à des pré-retraites vont être créés :

  • Le Revenu de Solidarité (RSO) en 2001 dans les départements d’outre-mer pour les personnes au RMI depuis au moins deux ans âgées d’au moins 55 ans qui s’engagent à quitter définitivement le marché du travail.

 

  • L’Allocation Equivalent Retraite (AER) en 2002 qui s’adresse à des demandeurs d’emplois totalisant le nombre de trimestres de cotisations à l’assurance vieillesse nécessaire pour une retraite à taux plein sans avoir atteint l’âge de départ en retraite. Elle a été supprimée en 2011.

 

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1 L’usage des termes « workfare », « welfare » ou « welfare to work » est discutée et critiquée par Jean-Claude Barbier. En conséquence, nous nous en tenons à un usage parcimonieux.   Barbier Jean-Claude, « Peut-on parler d’« activation » de la protection sociale en Europe ? », Revue française de sociologie, vol. 43, n° 2, 2002, pp. 307‑332

2 Bien que le consensus portant sur l’objectif d’insertion soit assez large, il est néanmoins critiqué par certains sociologues bourdieusiens comme Loïc Wacquant et par les partisans d’un revenu universel.

3 Dans un contexte assez particulier puisqu’elle remplace le dispositif de ristourne dégressive de CSG et CRDS prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale pour ces ménages-là  qui avait été annulé par le Conseil Constitutionnel.

 4 Ce dispositif en rappelle un autre plus ancien – le Supplément de Revenu Familial – qui instituait une allocation différentielle de 210 francs mensuels pour compléter un salaire en-dessous d’un plafond. Il a été créé en 1980 mais ne touchait quasiment plus personne en 1987.

5 Le risque de voir un Conseil Départemental préférer limiter le nombre d’allocataires et les dispositifs d’insertion sur l’augmentation des impôts locaux est pointé dans le débat parlementaire par certains députés socialistes.

6 Ce point a été révisé en 2005 sans que le RMA ne se développe pour autant

7 De nombreux rapports de hauts fonctionnaires se sont succédés depuis le début des années 2000 (Bertrand Fragonard, Jean-Michel Belorgey, Marie-Thérèse Join-Lambert, le CERC...)

8 Vérétout Antoine et Dubet François, « Une « réduction » de la rationalité de l’acteur. Pourquoi sortir du RMI ? », Revue française de sociologie, vol. 42, n° 3, 2001, pp. 407‑436. Dans cet article fondateur, les auteurs montrent que des allocataires reprennent du travail alors qu’ils y perdent financièrement car le sentiment de dépendance et le déni de reconnaissance est bien plus difficile à vivre que les difficultés financières.