2006-2018. La remise en cause de la solidarité par « l’activation »

2006-2018. La remise en cause de la solidarité par « l’activation »

Chapo
 
Le RSA fait basculer l’ambiguïté initiale du RMI dans une logique de « responsabilisation » des individus face au marché du travail en créant des incitations monétaires et un mécanisme de sanction qui, même peu utilisé, pèse comme une épée de Damoclès sur les allocataires.
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La pratique d’une austérité budgétaire généralisée en Europe a incité à restreindre les ressources affectées à la protection sociale dans son ensemble (retraite, soins de santé, revenus). La limitation des salaires et le développement d’un sous-emploi précaire fonctionnant comme un second marché du travail. Dans cette même logique, les minima sociaux en France sont impactés.

L’activation peut être définie comme un « lien explicite (souvent réglementaire) entre la protection sociale et les politiques de l’emploi et du marché du travail » donnant lieu à « une préférence systématique accordée à l'engagement des bénéficiaires sur le marché du travail (l'activité), voire d'une condition - plus ou moins contraignante - d'activité introduite pour l'éligibilité aux prestations1 »

 

C’est dans ce contexte que Martin Hirsch, président d’Emmaüs France et haut fonctionnaire, pousse à la création du Revenu de Solidarité Active (RSA) en s’inspirant du modèle libéral britannique. Il cherche à répondre aux critiques selon lesquelles le RMI générerait de « l’assistanat » et un manque d’efficacité au regard du « retour à l’emploi ». Le RSA est inscrit comme l’une des mesures phares du rapport de la Commission « Familles, vulnérabilité, pauvreté2 » qu’il préside.

Après l’élection de Nicolas Sarkozy comme Président de la République, Martin Hirsch rentre au Gouvernement pour porter une expérimentation puis une généralisation de la réforme proposée. 
Martin Hirsch déclare le 25 septembre 2008 à l’Assemblée Nationale : « Nous ne proposons pas d’alourdir l’État-providence, mais de lui préférer la logique de la solidarité active. [...] La solidarité ne tombe pas du ciel. Elle ne se limite pas à la redistribution. Elle doit davantage favoriser l’activité que la pénaliser.3 ». Il s’agit donc que « le travail paye » le travailleur sans que « le travail coûte » à l’employeur.  Comment augmenter les revenus sans augmenter les salaires ? Par la prise en charge de cette augmentation par l’Etat.

 

Le RSA comprend alors deux volets  :

  • un montant forfaitaire correspondant au montant du RMI (« RSA socle ») et de l’API (« RSA socle majoré »)
  • une somme égale à un pourcentage (62%) des revenus professionnels du foyer allocataire (« RSA activité ») afin que chaque heure travaillée corresponde à une augmentation de revenu. Ce versant venant remplacer les dispositifs d’intéressement préalable. Cette somme est aussi versée à des travailleurs pauvres qui n’ont jamais été allocataires de minima sociaux. Son point de sortie est fixée au niveau du salaire minimum (où l’allocataire ne touche plus que celui-ci). Avec ce volet « activité », le RSA vient directement compenser la faiblesse des salaires et la précarité d’un marché du travail. Pourtant les évaluations menées dans 34 départements ont montré des effets sur le retour à l’emploi très limités, voire nuls4. Il faut noter que les évaluations sérieuses ont toutes été publiées après la généralisation du dispositif.

Comme le RSA reprend la frontière d’âge des 25 ans, un dispositif très limité est créé pour certains jeunes adultes (« RSA jeune »)5. Une forme de RSA dont le montant est plus faible est aussi créée pour les départements d’outre mer (« RSA outre-mer ») à partir de 2011.

 

Pourtant, on constate un taux de non-recours au RSA socle très important - estimé entre 14 % et 36 % selon les sources6. Deux-tiers des personnes qui y ont théoriquement droit  au « RSA activité » ne l’ont pas demandé.7. En outre il est décidé de maintenir la Prime pour l’emploi. Chaque ménage peut conserver le dispositif qui lui est le plus favorable.

Cette incohérence est corrigée en 2015 par la création de la Prime d’activité (PA) qui fusionne les deux dispositifs. Sous la présidence de François Hollande, le RSA n’est pas remis en cause. Son montant est légèrement revalorisé afin de rattraper légèrement le décrochage par rapport au salaire minimum. Mais la philosophie d’une politique publique qui vise en priorité à créer des incitations financières pour le retour à l’emploi est la même. La lutte contre les causes structurelles générant des situations de pauvreté notamment sur le marché du travail est traitée de manière secondaire même si un rattrape du montant du RSA socle permet à celui-ci de revenir de 44,5% à 48,5% du salaire minimum.

 

Le RSA s’inscrit dans une politique qui proclame qu’il faut « travailler plus pour gagner plus ». Nicolas Sarkozy voulait s’assurer que «le retour à l’emploi soit toujours plus rémunérateur que le maintien dans l’assistance, et que le travail donne à tous la garantie de sortir et d’être protégé de la pauvreté »8.
Il s’agit de s’opposer à une forme de solidarité prétendument passive et de remplacer « l’insertion » par la « solidarité active ».

L’idée est la suivante : si certains allocataires restent au RSA, c’est parce que le gain financier d’un salaire serait trop faible au regard des revenus dont ils bénéficient déjà. Il faut donc les encourager financièrement à « sortir du RSA ». Cette analyse nie à la fois la diversité des situations des allocataires comme si celui-ci était un stock fixe de personnes accrochés à un statut. Comme si le nombre de postes disponible sur le marché du travail n’avait pas d’impact. Ou que les raisons pour trouver du travail n’étaient que financières effaçant les autres facteurs (santé, logement, famille...). Comme si tous les emplois permettaient de sortir de la pauvreté alors que le marché du travail se précarise (intérim, contrats à durée limitée, horaires coupés...)

 

Le RSA modifie la nature du contrat qui est engagé entre l’allocataire et la puissance publique, en insistant sur les devoirs de l’allocataire. Ces contreparties portent essentiellement sur des démarches d’insertion professionnelle. Dans la loi, celle logique s’applique à tous même s’il y a des préalables « temporaires » avec une possibilité d’insertion sociale9.

Dans le RSA, les freins au retour à l’emploi doivent être levés par un accompagnement obligatoire et des sanctions pour ceux  qui ne « respecteraient pas les contrats d’engagement réciproque ». C’est l’individu qui porte la responsabilité de son retour à l’emploi et doit démontrer qu’il engage des efforts pour améliorer sa situation.  

Une commission est créée pour émettre des avis sur l’orientation et les sanctions. Ces « équipes pluridisciplinaires10 » sont composées de travailleurs sociaux et de représentants des allocataires11. Mettant en place ainsi un contrôle par les pairs. Ce dispositif a été relativement consensuel sauf pour quelques associations de défense des droits des chômeurs comme le MNCP ou la CGT privés d’emplois12.

 

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Barbier Jean-Claude, ibidem, 2002. Celui-ci précise que, contrairement à une idée reçue, son origine est sociale-démocrate et keynésienne puisqu’elles ont été formalisées en Suède dans les années trente et mise en œuvre dans les années cinquante avant d’être reprise dans une logique néoliébrale par l’OCDE, le Royaume-Uni, l’Union Européenne (sommet de Lisbonne en 2000)

Commission « Familles, vulnérabilités, pauvreté »,  Au possible nous sommes tenus, La nouvelle équation sociale, La documentation française, avril 2005, 116p

Hirsch Martin, 25 septembre 2008. Cette citation ressemble étrangement à celle de Richard Nixon citée dans la note n°15

Comité national d’évaluation du RSA, Rapport final, dirigé par François Bourguignon, 2011 ou bien Simonnet Véronique et Danzin Elizabeth “L’effet du RSA sur le taux de retour à l’emploi des allocataires. Une analyse en double différence selon le nombre et l’age des enfants”, in « Économie et Statistiques », n°467, 2014

Il faut avoir travaillé deux années dans les trois dernières années précédent la demande, les stages n’étant pas inclus dans la période de calcul.

L’ODENORE l’estime à 36 % (cité dans un rapport d’information parlementaire de 2016 ), la CNAF à 35 % et l’économiste Guillaume Allègre à 14 %, tout en prévenant que sont estimation est probablement trop basse.

Domingo Pauline et Pucci Muriel « Impact du non-recours sur l’efficacité du RSA activité seul », Economie et Statistique, vol. 467, n° 1, 2014, pp. 117‑140

Sarkozy Nicolas, « Lettre de mission de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, adressée à M.Martin Hirsch, Haut commissaire auprès du Premier ministre, aux solidarités actives contre la pauvreté, sur les priorités en matière de lutte contre la pauvreté, notamment la création du revenu de solidarité active », 2007

Selon l’article L. 262-28  du Code de l’action sociale, l’allocataire est « tenu » de « rechercher un emploi, d'entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou d'entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle ».  Dans l’article suivant L. 262-29  ces même allocataires, soumis aux droits et devoirs, pourront être orientés « vers les autorités ou organismes compétents en matière d'insertion sociale » seulement s’il « apparaît que des difficultés tenant notamment aux conditions de logement, à l'absence de logement ou à son état de santé font temporairement obstacle à son engagement dans une démarche de recherche d'emploi ».

10  « Les équipes pluridisciplinaires sont consultées préalablement aux décisions de réorientation vers les organismes d'insertion sociale ou professionnelle et de réduction ou de suspension, prises au titre de l'article L. 262-37, du revenu de solidarité active qui affectent le bénéficiaire. »

11  Des syndicats comme la CGT et la CFDT avaient demandé à être représentés dans ces instances sans obtenir gain de cause

12  CGT Privés d'emplois, Oser la désobéissance !, lettre aux Conseils Généraux, Montreuil, 26 juin 2009, « L'aspect délétère, sectaire du document de demande du RSA, cache une politique d'organisation immédiate et future de la misère de vos concitoyens. Vous élus de terrain, (...) ne pouvez endosser d'être les fossoyeurs de la solidarité nationale, en sanctionnant le refus de l'octroi du RSA. »

 

 

Corps du bloc "Nos propositions"