Ouvrir le débat : pourquoi les contreparties sont inacceptables

Ouvrir le débat : pourquoi les contreparties sont inacceptables

Chapo
Nous contestons la pratique actuelle des contreparties et des sanctions infligées aux allocataires, à la fois dans leur principe, car elles contreviennent aux valeurs fondamentales de notre société ; dans leurs conséquences, coûteuses pour les personnes comme pour la société ; et dans leur justification.
Corps

(cette page est un résumé de la 3ème partie du rapport "Pour un revenu sans contrepartie" : Dix raisons pour lesquelles les contreparties au revenu minimum sont inacceptables. Pour lire le rapport, c'est ici.)

 

1. Le minimum vital ne se négocie pas

C’est d’abord une question de droits. On ne peut laisser personne vivre sous le seuil de pauvreté sans attenter à sa dignité et abîmer notre société. Tout le monde devrait pouvoir manger à sa faim et se loger décemment. S’il y avait des incitations et des sanctions, elles ne devraient arriver qu’au-delà d’un certain niveau de revenu.

2. Nous dépendons les uns des autres

L’égalité entre les citoyens, qui figure dans notre devise nationale, nécessite un minimum d’égalité économique. Or cette égalité est rompue. Une société ne peut supporter de tels écarts sans se mettre en péril. Car nous sommes interdépendants. Nous avons les uns envers les autres une responsabilité.

3. La France s'est engagée à en finir avec la grande pauvreté

La France est une société suffisamment riche pour éradiquer la grande pauvreté. Elle a pris l’engagement d’y parvenir d’ici 2030, devant les Nations unies, dans le cadre des objectifs de développement durable. Sauf à décider d’un net relèvement des minima sociaux et à faire de ce socle financier un droit automatique et inaliénable, la France ne sera pas au rendez-vous de ses promesses.

4. Des économies coûteuses pour les personnes et pour la société

Une vision étroitement comptable prévaut aujourd’hui, qui ne considère les politiques sociales que comme une charge, au lieu d’y voir un investissement. "De quelqu’un de brisé, on ne tire rien de bon", constate une allocataire du RSA. Notre pays est frappé de myopie quand il restreint l’accès aux minima sociaux sans prendre en compte l’ensemble des coûts sur la santé, l’hébergement, l’éloignement du marché de l’emploi… Il faudrait au contraire relever le niveau du RSA pour permettre aux personnes de sortir du mode « survie » et de se projeter vers l’avenir.

5. Les sanctions paupérisent les enfants

La pauvreté touche 3 millions d’enfants en France. La Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, lancée en 2018, en a fait sa priorité numéro un. Pourtant, quand une personne allocataire du RSA est sanctionnée, l’impact se fait ressentir sur toute la famille. Les enfants subissent ainsi une sanction collective, particulièrement injuste : ils n’ont aucune responsabilité sur les actes de leurs parents.

6. Les contreparties et les sanctions découragent l'accès aux droits

Près d’une personne éligible sur trois n’a pas accès au RSA. Avec des coûts induits : certains renoncent à des soins ou ne se font soigner que quand leur situation est grave. Le gouvernement fait de la lutte contre le non-recours une priorité. Mais le durcissement des contraintes associées au RSA s’apparente à une logique de méfiance, qui décourage certaines personnes d’y avoir recours. Renoncer aux sanctions pour privilégier une relation de confiance mettrait fin à une forme de violence administrative, tout en libérant du temps des travailleurs sociaux pour l’accompagnement.

7. La logique contractuelle qui fonde le RSA est une imposture

La logique contractuelle du RSA est flouée. Comment considérer que le consentement de l’allocataire est libre et éclairé, quand il est sous contrainte de perdre le minimum vital ? Mais pour conforter l’idéologie méritocratique, selon laquelle chacun doit sa situation sociale à son mérite propre, cette fable est nécessaire. Autrement dit, pour justifier les rémunérations astronomiques de certains par le talent, l’effort, l’audace, il faut que tout en bas aussi, l’échelle sociale soit perçue comme régie par le mérite. Le contrat d’engagement réciproque a pour rôle d’objectiver le mérite de l’allocataire.

8. Comment exiger la reprise d'un emploi quand il en manque ?

À en croire certains responsables politiques, le plein-emploi ne dépendrait que de la motivation des chômeurs. Pourtant, les faits sont là : en 2019, avant même la crise sanitaire, 5,5 millions de personnes étaient inscrites à Pôle emploi. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des temps partiels subis, des personnes découragées… Dans ce contexte, comment prétendre que le chômage serait volontaire ? Et comment laisser croire que nous avons les mêmes chances face à l’emploi, quand le chômage monte à 50 % dans certains quartiers à cause des faibles qualifications et des discriminations ? Le RSA dans ses exigences actuelles est injuste et hypocrite.

9. La contribution à la société des allocataires est ignorée

La logique de l’activation repose sur un présupposé : les "bénéficiaires" auraient besoin d’être "activés" pour ne plus être un poids pour la société. Cette idée est non seulement infamante pour celles et ceux qui, jour après jour, se démènent pour s’en sortir avec si peu, mais elle passe aussi sous silence les contributions existantes des personnes pauvres au bien commun, alors que nombre d’entre elles sont solidaires et actives, par du bénévolat, de l’hébergement solidaire, le soutien d’un proche enfant en bas âge, malade ou vieillissant… Et si nos politiques publiques s’attachaient à mieux valoriser ces contributions, plutôt que de demander des contreparties ?

Voir nos propositions pour Reconnaitre les contributions au delà du travail rémunéré.

10. La menace des sanctions nuit à l'efficacité de l'accompagnement

Nous croyons fermement à l’accompagnement quand il est fondé sur la confiance, la reconnaissance du potentiel et des talents des personnes, ou sur le fait de lever des obstacles structurels à la recherche d’emploi (qualification, garde d’enfants, transport...), mais pas quand il est fondé sur la menace. Les personnes en situation de pauvreté souffrent de devoir faire leurs preuves en permanence, sous peine de sanctions. Cette insécurité réduit considérablement l’efficacité de l’action sociale. Au contraire, "plus on aide les gens, plus ils sont capables de repartir d’eux-mêmes", estime Esther Duflo. Nombre de travailleurs sociaux préféreraient que l’allocation soit dissociée de l’accompagnement, lequel pourrait alors être formalisé par des engagements vraiment réciproques.