1977-1987. Face au chômage de masse
1977-1987. Face au chômage de masse
En 1975, la conjoncture économique se retourne. La croissance ralentit et la France entre progressivement dans l’ère du chômage de masse. En 1976, le nombre de chômeurs passe la barre du million et en 1984 la barre des deux millions.
L’indemnisation chômage créée seulement en 1958 s’élargit. En 1974, pour faire face aux licenciements économiques, les partenaires sociaux créent une Allocation Supplémentaire d’Attente (ASA) qui procure 90 % de l’ancien salaire. Mais le régime connaît ses premières années de déficits et les réserves diminuent. La pensée économique néolibérale monte en puissance au sein du Ministère des Finances au détriment de cadres d’analyse keynésiens1.
Une réforme indemnitaire adoptée en 1979 limite le montant et la durée des allocations. La figure imaginaire du « chômeur-golfeur » sert d’arguments à ceux qui la défende. Le Gouvernement intervient dans le compromis en créant une Aide au Secours Exceptionnel (ASE) pour compléter l’indemnisation des chômeurs de longue durée. Les jeunes adultes entrant sur le marché du travail ne sont pas concernés. Le Premier Ministre Raymond Barre lance pour eux un « pacte pour l’emploi » qui crée des stages rémunérés par l’Etat et de l’alternance en entreprise (avec exonérations de cotisations sociales à la clé). C’est le démarrage du traitement social du chômage et d’une pensée de l’insertion où ceux qui sont hors du marché du travail doivent être soutenus individuellement pour l’intégrer.
Le débat entre ceux qui souhaitent un renforcement financier de la Sécurité Sociale et ceux qui veulent limiter les dépenses est perdu par les premiers. Nicole Questiaux, ministre de la Solidarité nationale du premier gouvernement Mauroy démissionne, remplacée dès le 29 juin 1982 par Pierre Bérégovoy. En 1983, avec le tournant définitif de la rigueur et l’adoption d’une politique de désinflation compétitivité, l’Etat adopte un nouveau regard sur la question sociale. Le paradigme de « l’exclusion sociale » monte en puissance quand celui des inégalités sociales et salariales tend à s’effacer du débat public. Les entreprises doivent se désendetter pour être compétitives et il ne faut pas leur rajouter des « charges ». « Au lieu de fonder une solidarité face au risque, où chacun est tout à la fois appelé à donner (cotiser) et à recevoir (percevoir des prestations), (l'Etat) renoue avec la charité publique, c'est à dire avec une solidarité face au besoin, où les plus riches donnent sans recevoir tandis que les plus pauvres reçoivent sans être appelés à donner2 ».
L’Etat prend donc en charge directement les difficultés de personnes actives dans la même logique que les minima sociaux de la période précédente. On considère donc souvent qu’ils font partie de la même génération de minima sociaux. Le problème social n’est pas entièrement dissocié du problème productif puisque les allocations sont créées dans la continuité des droits au chômage. Mais la responsabilité du problème a basculé vers l’Etat. En 1984, le gouvernement crée deux prestations :
- L’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS) est créée à la demande du patronat pour transférer à l’Etat la prise en charge des chômeurs de longue durée. Elle remplace l’ASE. L’ASS vise à garantir des ressources minimales aux chômeurs qui ont épuisé leurs droits à l’assurance chômage et qui justifient d’au moins cinq années d’activité sur les dix dernières années (salariat, formation rémunérée, service national ou chômage indemnisé). L’ASS est versé sans limitation de durée tant que la personne justifie d’une recherche d’emploi, ce qui suppose d’être inscrit comme demandeur d’emploi. Elle était calculée à hauteur de 50 % du montant du salaire minimum mais cumulable avec les revenus d’un conjoint.
- L’Allocation d’Insertion (AI) est versée pendant un an aux détenus libérés, aux victimes d’un accident du travail, aux salariés expatriés non affiliés à l’assurance chômage, aux réfugiés et aux demandeurs d’asile. Jusqu’en 1992, elle était aussi perçue par certains jeunes et soutiens de famille. Elle est remplacée par l’Allocation Temporaire d’Attente (ATA) en 2006 qui recouvre le même public.
La création de ces allocations est concomitante avec celle des Travaux d’Utilité Collective (TUC). On occupe des bénéficiaires en attendant un « retour à l’emploi de droit commun ». Les bénéficiaires sont « stagiaires de la formation professionnelle » pendant six mois et à mi-temps sans avoir droit à aucune action de formation3. Ce dispositif est poussé par le Ministère des Finances contre l’avis de la Délégation à l’emploi. L’année 1984 est également marquée par la première grande négociation interprofessionnelle sur la « flexibilisation » (précarisation) du marché du travail. C’est donc bien une année de tournant qui voit la protection sociale se diriger vers de nouveaux horizons.
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1 JOBERT Bruno, Le tournant néo-libéral en Europe, L'Harmattan, 1994, 328p
2 SUPIOT Alain, Au-delà de l'emploi. Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe. Flammarion, 321p, 1999
3 Colomb Fabrice, Les politiques de l’emploi (1960-2000) : sociologie d’une catégorie de politique publique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res publica », 2012, 226 p.