Les sanctions contre les allocataires du RSA
Les sanctions contre les allocataires du RSA
(cette page est un résumé de la première partie du rapport "Pour un revenu sans contrepartie" : Dans la réalité du RSA, la mécanique des contreparties et des sanctions. Pour lire le rapport, c'est ici.)
Le RSA, une réalité massive
Au 31 décembre 2019, la France comptait 1,88 million de foyers allocataires du RSA. Environ 3,85 millions de personnes (soit 5,8 % de la population) en dépendent donc pour vivre. Et par définition, ce chiffre n’inclut pas les ménages (environ 30 %) qui y ont droit mais ne le demandent pas. Au 1er avril 2020, le RSA s’élève à 565 € pour une personne seule ; 847 € pour un couple ou un adulte avec un enfant ; 1 016 € pour un couple avec un enfant.
La réforme de l'assurance-chômage en cours, en réduisant les droits de plus d’un million de personnes, pourrait en faire basculer des centaines de milliers au RSA.
Un contrat inégal
Pour pouvoir toucher le RSA, ils doivent signer un « projet personnalisé d’accès à l’emploi » avec Pôle emploi, ou un « contrat d’engagement réciproque » avec le conseil départemental. Ce contrat n’a de réciproque que le nom, car de leur côté, les institutions n’ont pas réellement d’obligation à respecter leur part du contrat. En revanche, si le contrat ou son renouvellement n’est pas signé dans les délais prévus, du fait de l’allocataire, ou si ce dernier ne respecte pas les « obligations contractuelles », ou encore s’il refuse un contrôle, son RSA peut être diminué de 50 %, voire de 80 %, l’ultime sanction étant la radiation.
Le besoin de se justifier en permanence
Les allocataires vivent ainsi sous la menace d’une suspension de leur allocation qui dépend de leur capacité à expliquer quelles démarches ils ont mis en œuvre pour faire « avancer » leur situation.
Les équipes pluridisciplinaires mises en place par les départements pour opérer cette évaluation sont bien souvent vécues comme une réminiscence des conseils de discipline... Chez nombre d’allocataires, cette politique n’aboutit qu’à faire peur : « On nous demande de décrire notre situation, mais comment on sait que ce qu’on dit ne va pas se retourner contre nous ? » ; « Vous savez, les professionnels, ils savent de toute façon toujours mieux que nous ! Ils ont toujours raison. La loi est de leur côté ! »
Nettoyer les fichiers
Du côté des administrations, les pratiques sont très différentes d’un département à l’autre, ce qui interroge d'ailleurs le principe d’égalité devant la loi. Certains font une interprétation jusqu’au-boutiste de la loi et, encouragés par l’objectif de 100 % de contractualisation avec les allocataires, fixé par le gouvernement, ils semblent prêts à éliminer les allocataires de leur listing au moindre faux pas. Suivant des stratégies parfois très contestables sur le plan légal.
Ainsi, pour ne donner que quelques exemples, le département du Nord, de loin celui qui compte le plus grand nombre d’allocataires du RSA, a mis en place des équipes pluridisciplinaires de masse, statuant sur le sort des allocataires en leur absence. Se réclamant d’une politique du « juste droit », le département de l’Eure fait valoir les résultats de sa « Cellule contrôle RSA », dotée de six agents, qui a sanctionné près de 15 % des allocataires, faute, pour eux, d’avoir fourni les justificatifs de- mandés. D’autres départements ne sont pas en reste : celui des Alpes-Maritimes s’enorgueillit d’avoir atteint 98 % de contractualisation (en purgeant les non-signataires).
Il faut dire que le RSA, qui représente un sixième du budget cumulé des départements (67 milliards d’euros de budget total), est une variable clé de maîtrise budgétaire. Dans ce contexte, les forums d’échanges entre fonctionnaires territoriaux font apparaître une véritable émulation dans la chasse aux « mauvais allocataires » : on y trouve des conseils sur les publics à haut potentiel de « non-conformité », ou sur l’intérêt de croiser les dires des allocataires avec ce qu’ils postent sur Facebook…
L'insertion, une ambition sans moyens
La Stratégie pauvreté de 2018 voulait « mettre l’accent sur l’insertion des bénéficiaires du RSA » en demandant aux départements de signer un contrat avec 100 % des allocataires et de réduire les délais d’orientation. Mais ces objectifs louables se heurtent à un cruel manque de moyens. Un accompagnement de qualité suppose des travailleurs sociaux disponibles.
Or entre 2013 et 2018, les dépenses d’allocation du RSA ont augmenté de 25 %, tandis que les dépenses d’insertion liées au RSA diminuaient de 6 %. Et le « pacte de Cahors » de décembre 2017, par lequel l’État contraint les départements à limiter la hausse de leurs dépenses de fonctionne- ment à 1,2 % par an maximum, ne les encourage guère à renforcer leur budget insertion. Pour faire des économies, certains sous-traitent l’orientation des allocataires, au risque de diminuer la qualité de l’accompagnement (durée des entretiens…).
Les sanctions, une pratique loin d'être anecdotique
Faute de données publiques exhaustives et transparentes sur le recours aux sanctions à l’encontre des allocataires du RSA, nous avons mené l’enquête. Faisant valoir le droit d’accès aux documents administratifs, nous avons écrit à tous les départements. Une quinzaine, représentant environ 20 % des allocataires du RSA en France, nous ont répondu de façon suffisamment précise pour pouvoir produire une estimation.
Au terme de cette enquête, en retenant la fourchette basse, nous estimons qu’en 2019, au moins 6,1 % des allocataires ont fait l’objet de sanctions financières, soit 115 000 foyers concernés, ou encore 234 000 hommes, femmes et enfants, privés de moyens essentiels à la satisfaction leurs droits fondamentaux. 234 000 personnes : c’est l’équivalent de toute la population de la ville de Lille intra-muros.